Vue du "village-opéra" construit par l'architecte germano-burkinabé Diebedo Francis Kere à Laongo au Burkina Faso en 2022 ©AFP - OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
Vue du "village-opéra" construit par l'architecte germano-burkinabé Diebedo Francis Kere à Laongo au Burkina Faso en 2022 ©AFP - OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
Vue du "village-opéra" construit par l'architecte germano-burkinabé Diebedo Francis Kere à Laongo au Burkina Faso en 2022 ©AFP - OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
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Cette semaine Esprit des lieux vous propose une émission spéciale en partenariat avec le magazine L'architecture d'aujourd'hui, sur la décolonisation de l'architecture en Afrique.

Avec
  • Armelle Choplin, professeure de géographie et d’urbanisme à l’université de Genève.
  • Sénamé Koffi Agbodjinou, architecte, anthropologue, il est à l'origine de la structure activiste “L’Africaine d’architecture”
  • Emmanuelle Borne, rédactrice en chef du magazine L'architecture d'aujourd'hui

En Afrique de l'Ouest, une nouvelle génération d'architectes cherche des alternatives à la ville de béton en construisant des logements éco-solidaires, où le ciment est remplacé par d'autres matériaux locaux, de la terre, du bois, de la paille. Ce sont peut-être les prémices d'une nouvelle Afrotopia, pour reprendre la formule de l'écrivain Felwine Sarr, une utopie qui prendrait l'Afrique comme point de départ. L'Afrique, continent où s'inventent d'autres modes d'habiter, d'autres manières de penser le monde, les relations humaines et l'environnement. C'est la conviction de nos deux invités, la géographe et urbaniste Armelle Choplin, professeure à l'Université de Genève et l'architecte et anthropologue Sénamé Koffi Agbodjinou. Cet Esprit des lieux consacré aux nouvelles expériences architecturales africaines a été conçu en partenariat avec le magazine L'architecture d'aujourd'hui. Sa rédactrice en chef, Emmanuelle Borne, reviendra dans cette émission sur le dernier numéro du magazine consacré à ces questions.

État des lieux

Armelle Choplin, qui a sorti en 2021 l'ouvrage La Vie du ciment en Afrique. Matière grise de l’urbain chez MētisPresses nous explique l'histoire de l'arrivée du béton en Afrique. "Le béton est très nouveau dans l'histoire de l'architecture africaine. En effet, le béton est arrivé à l'époque coloniale, les colons ont amené le ciment pour construire leur quartier"  explique-t-elle. Sénamé Koffi Agbodjinou apporte une nuance en citant Joseph Davidovitch, qui pense que déjà les Égyptiens ont systématisé la construction en pierres avec des éléments qu'ils trouvaient autour d'eux, et fabriquaient en quelque sorte "du béton vert ou du géobéton".

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Deux hommes cassent le béton pour récupérer le fer sur le chantier de démolition d'un bâtiment à Koumassi, un quartier populaire d'Abidjan, le 17 juin 2019.
Deux hommes cassent le béton pour récupérer le fer sur le chantier de démolition d'un bâtiment à Koumassi, un quartier populaire d'Abidjan, le 17 juin 2019.
© AFP - Sia KAMBOU / AFP

Depuis ces vingt dernières années, le béton a complètement envahi l'Afrique. Des cimenteries se sont ouvertes et produisent du ciment à partir du calcaire local. Le béton et l'industrie cimentière sont vus comme un levier de développement. Par exemple, l'homme le plus riche d'Afrique, Aliko Dangote, est un cimentier du Nigéria. Il est une figure de réussite en Afrique.  Selon Armelle Choplin, "le béton a cette image de la modernité et l'image de la réussite aussi. On s'offre des tonnes de ciment, par exemple quand on part à la retraite ou quand on se marie." Pourtant, en plus d'être polluant, le béton n'est pas un matériau adapté au contexte africain et suppose une ventilation artificielle très énergivore.

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Sortir du béton

Les difficultés sont nombreuses pour sortir du "tout béton." Il manque d'artisans qui savent construire en terre et les maçons restent réticents à l'idée de réaliser ce type d'ouvrage. Construire en terre pour celles et ceux qui habitent en ville, renvoie à un imaginaire de la pauvreté. Le ciment est en plus très abordable, car subventionné par l'État. Ce sont des barrières pratiques, sociales et économiques qui permettent d'expliquer ce manque de construction en terre.

Vue générale de l'entrée du parc national du Mali, conçu par l'architecte Diebedo Francis Kere, à Bamako, le 16 mars 2022
Vue générale de l'entrée du parc national du Mali, conçu par l'architecte Diebedo Francis Kere, à Bamako, le 16 mars 2022
© AFP - FLORENT VERGNES / AFP

Armelle Choplin explique qu'il faudrait changer les cursus dans les écoles d'architecture en Afrique, en introduisant des cours sur l'architecture vernaculaire. Aujourd'hui, tous les architectes africains sont formé à l'école d'architecture de Lomé, déplore Sénamé Koffi Agbodjinou. Il faudrait soit ouvrir d'autres écoles soit refonder les enseignements de l'école. D'après Armelle Choplin, il s'agit enfin d'"essayer que les élites, se disent : plutôt que de construire un palais de béton, je vais essayer d'avoir une maison comme celle de Francis Kéré." Cet effet de mode pourrait ainsi faire changer les imaginaires.

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Architectures émergentes

Beaucoup d'architectes africains émergent avec de nouvelles approches esthétiques et en termes de matériaux. Le prix Pritzker 2022 a été décerné à Francis Kéré, un architecte germano-burkinabé, qui construit plutôt en bois, en terre, avec les matériaux qu'il trouve localement. "C'est la première fois grâce à Francis Kéré que l'architecture africaine rentre sur la carte de l'architecture mondiale. Avant, on pensait que là-bas, on construisait des cases et que ça ne faisait pas partie de l'architecture" fait remarquer la chercheuse.

Emmanuelle Borne cite aussi Mariam Kamara au nord du Niger, l'agence Worofila à Dakar, LocalWorks en Ouganda"Ces architectes explorent des alternatives avec la terre crue, mais aussi la pierre, le bois, le chaume, le papyrus" explique Emmanuelle Borne. Pour elle, "ce qui lie ces architectes, c'est l'envie de faire émerger une architecture néo-vernaculaire, c'est-à-dire une architecture propre à un territoire, à une culture." Certains veulent même rénover des patrimoines ancestraux comme Salima Naji au Maroc. Elle a commencé à répertorier des greniers collectifs de pierres et de pisé et elle a choisi d'en réhabiliter certains.

Une photo du village d'Amtoudi au Maroc réhabilité par l'architecte Salima Naji qui fait revivre des techniques anciennes pour restaurer des greniers collectifs
Une photo du village d'Amtoudi au Maroc réhabilité par l'architecte Salima Naji qui fait revivre des techniques anciennes pour restaurer des greniers collectifs
© AFP - Frédérique PRABONNAUD / AFP

La question de la construction en pierre a en réalité toujours été là, mais peu audible, selon Sénamé Koffi Agbodjinou. Il pense par exemple au Burkina de Thomas Sankara, où il y a eu des tentatives de systématisation de constructions. Il y a même eu des Français comme André Ravéreau ou Jean Dethier et une revue d'architecture qui s'appelait Papyrus, où Achille Mbembe écrivait assez jeune. Cette revue traitait du fait de construire très localement. Le changement architectural ne se fera d'après Sénamé Koffi Agbodjinou que par un changement au cœur des imaginaires : "Les Africains ont un devoir de reconstituer une conscience qui est aujourd'hui très émiettée. En réalité, et c'est un passage obligé pour refonder du concept, du canon. Il y a une décolonisation [nécessaire] dans l'imaginaire général, en commençant par celui des experts, des praticiens que sont les architectes." Comme le dit Leslie Lokko, la curatrice de la Biennale d'architecture de Venise : "L'Afrique et le laboratoire du futur". Emmanuelle Borne ajoute que regarder du côté de l'Afrique, nous permet donc de repenser notre future.

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